Je relaie l’interview de François Taddei par Corinne Bensimon publiée dans le journal Liberation. Merci à Gérard pour m’avoir fait partager ce lien.
François Taddei vient d’achever, à la demande de l’OCDE, un rapport sur les orientations à donner à une réforme de l’éducation. Il a un credo, emprunté à Charles Darwin : «Les espèces qui survivent ne sont pas les espèces les plus fortes, ni les plus intelligentes, mais celles qui s’adaptent le mieux aux changements.» Et une conviction : le système le plus performant sera celui qui forme les meilleurs autodidactes.
Vous rêvez d’une société d’autodidactes. C’est curieux pour un chercheur si diplômé…
Le paradoxe n’est qu’apparent. Il ne s’agit pas de supprimer l’enseignement mais de faire en sorte qu’il forme des jeunes dont la principale aptitude sera de savoir renouveler leurs connaissances. C’est une urgence dans un monde où la production de savoirs s’accélère de façon exponentielle. Depuis 1700, le nombre de publications scientifiques est multiplié par 100 tous les cent ans. Autant dire que ce qu’apprend un étudiant est vite dépassé. Cette évolution fulgurante des savoirs est dopée par celle des outils qui permettent de les produire et de les exploiter : l’informatique. La puissance des ordinateurs double en moins de deux ans. Conclusion, quelle que soit la formation reçue, il est vital de savoir mettre à jour non seulement son contenu, mais les façons d’y participer, sur le Web. A partir de là, on peut être créatif.
Mais ça veut dire quoi, être créatif ?
C’est être capable de faire de nouvelles constructions avec de nouveaux savoirs, un peu comme avec un Lego dont les pièces changeraient tout le temps. En France, on a une vision élitiste de la créativité. C’est un don qu’on réserve aux métiers d’arts : la haute couture, le design. C’est obsolète. Aux Etats-Unis, en Chine, la conscience de la rapidité des mutations et de la nécessité de savoir s’y adapter est une obsession. C’est ce que dit le «Yes we can» d’Obama : oui, nous pouvons tous changer.
Comment ?
J’ai intitulé mon rapport à l’OCDE : «Former des constructeurs de savoirs collaboratifs et créatifs.» En clair, l’école doit apprendre non pas des savoirs, mais à rechercher de l’information en utilisant les nouvelles technologies, à la critiquer, à la synthétiser et à produire de l’information en réseau. Le Web est un catalyseur que tous doivent apprendre à maîtriser dès l’école. Pour son offre de contenu, mais aussi parce qu’il montre que le savoir se construit de façon collective, dynamique. Tous les scientifiques le savent : nul ne peut plus maîtriser à lui seul un savoir.
La créativité est un produit collectif. L’individu s’efface, alors ?
Pas du tout. Dans ce système-là, on ne survalorise ni le savoir, ni le diplôme, ni le don. Mais la motivation individuelle et la liberté de pensée. Regardez le système scolaire finlandais dont le succès est envié par tous. Son maître mot, c’est la confiance dans les enseignants et dans les élèves. Les inspecteurs sont devenus des personnes ressource pour les profs, lesquels échangent en réseau, tandis que les élèves sont encouragés à travailler en groupe pour faire émerger leur point de vue personnel et aller vers les disciplines de leurs choix, plusieurs à la fois, de préférence. C’est crucial : les innovations naissent aux carrefours des disciplines. En France, créer des filières interdisciplinaires est un parcours du combattant.
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